Aux directions de tous les médias.
Nous sommes journalistes, rémunéré·es à la pige. À ce titre, nous travaillons avec vous et pour vous depuis des années. Sur le terrain ou derrière nos bureaux, nos productions viennent quotidiennement remplir vos antennes, les pages de vos journaux et de vos magazines, papiers ou en ligne. Nous, journalistes rémunérés à la pige, sommes fréquemment les premiers et les premières à vous répondre et à travailler dans l’urgence lorsqu’un événement survient sur nos terrains respectifs, jonglant entre plusieurs employeurs et plusieurs publications. Nous nous connaissons, mais souvent, ce n’est qu’à travers des échanges de mails et des coups de téléphone.
Une chose est pourtant certaine : nous sommes des salarié·es. Vos salarié·es.
Cependant, depuis trop longtemps, nous déplorons des délais de paiement qui, en plus d’être invivables pour les travailleurs et travailleuses isolées que nous sommes, sont tout simplement hors la loi. Alors que nos productions sont livrées en temps et en heure malgré les contraintes imposées par la marche de l’information, il arrive trop souvent que leur paiement n'intervienne qu’après la publication - voire trois, quatre ou six mois plus tard.
La loi est pourtant claire à ce sujet. L'article L 3242-3 du code du travail, qui s'applique aussi aux journalistes rémunérés à la pige, précise que les salariés payés à la pièce doivent être payés intégralement dans la quinzaine qui suit la livraison de l'ouvrage. L’article R 243-6 du Code de la sécurité sociale indique que les cotisations sociales doivent être déclarées et versées le mois suivant la réalisation du travail, au plus tard le 5 ou le 15 selon l’effectif des rédactions. Pourquoi les entreprises de presse sont-elles si nombreuses à ne pas respecter ces dispositions, se mettant ainsi dans l'illégalité et s’exposant à des amendes ? En septembre 2023, les syndicats de journalistes et l’association Profession : Pigiste écrivaient déjà aux organisations patronales pour demander le paiement à réception du travail effectué. Très peu d’entre vous ont depuis changé leurs pratiques. Les éditeurs qui paient en temps et en heure peuvent pourtant en témoigner : c’est simple et cela permet même d’y voir plus clair dans le suivi comptable.
Comment s’acquitter chaque mois de nos charges fixes (loyer, prêts, factures, alimentation, transports…), dont certaines sont prélevées automatiquement, en étant payé·es quand bon vous semble ? Quant aux journalistes pigistes sur le terrain, qui avancent fréquemment les frais – qu’il s’agisse de payer un fixeur, le logement ou les déplacements – pourquoi devrions-nous choisir entre notre confort et notre sécurité ? Le gouffre financier généré par ces retards de paiement est source de stress, de précarité, d’insécurité, voire de danger – en plus de nous mettre dans des situations compliquées auprès de France Travail et en cas d'arrêt maladie ou de congé maternité auprès de l'Assurance Maladie, pour qui ces versements différés sont difficilement compréhensibles.
Le salaire d'un·e journaliste en poste n'est, lui, jamais différé : pourquoi celui d'un·e journaliste pigiste, dont le travail est aussi important, l’est-il trop souvent ? Nous ne devrions pas avoir à vous relancer chaque semaine pour réclamer ce qui nous est dû, quand cela nous est dû. Nous ne devrions pas non plus avoir à vous réclamer chaque mois l’envoi de nos bulletins de salaire, ni à vérifier qu’y figurent bien les sommes dues à l’ancienneté, aux congés payés et au 13e mois (ce dernier étant obligatoire à partir de trois collaborations avec un même média) – qui doivent être versées en plus de notre salaire de base et figurer de manière distincte sur nos fiches de paie mensuelles. Nous ne devrions pas avoir, dans les situations les plus critiques, à pratiquer en dernier recours le « name and shame » (dénonciation publique) sur les réseaux sociaux, pour vous faire enfin réagir et régulariser la situation, en prenant le risque de nous voir blacklistés.
Nous exigeons la fin de ces pratiques délétères et d’être payé·es non pas à publication, mais le mois de la réception de nos productions.
Cette lettre ouverte est un dernier rappel à la loi.
Nous n'hésiterons pas, désormais, à saisir les prud'hommes.